1. Spinoza classe les "genres" de la connaissance : le premier genre est la "connaissance" imaginaire et par "expérience vague" ou par "ouï-dire", c'est-à-dire répétition et anonymat; le deuxième genre est la connaissance adéquate, à la fois vraie, universelle et formelle; le troisième genre de connaissance, comme "science intuitive" et comme passage "de l'idée adéquate de l'essence des attributs à l'essence adéquate des choses" (Éth. , II, 40, 2e sc.), est une authentique connaissance, à la fois rationnelle et intuitive.
" L'Éthique "
A la recherche du bonheur, de la liberté et de la béatitude
6 - La connaissance du premier genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, Deuxième partie, XV, Scolie II
Pour une libération radicale, l'Éthique propose un itinéraire qui permet de passer de l'erreur (connaissance du premier genre par ouï-dire et par expérience non réfléchie) à la vérité (croyance vraie, connaissance du deuxième genre, et connaissance intuitive claire et distincte, connaissance du troisième genre).
La connaissance du premier genre désigne d'abord la connaissance par ouï-dire, ensuite la connaissance que nous avons par quelques expériences sensibles où la réflexion était absente.
Ce genre de connaissance, d'où le doute et donc l'esprit sont exclus où l'imagination anthropomorphique se donne libre cours est souvent sujet à l'erreur. C'est le lieu de la conjecture et de l'incertitude.
Dans la pratique, elle accompagne: -les passions non réfléchies et par là aveugles à elles mêmes; -le fanatisme de celui qui ne sait pas douter de ses convictions, qui s'enferme dans son temple d'illusions que nourrit l'imagination.
Il faut comprendre que l'anthropomorphisme a pour source cette connaissance du premier genre qui ne fait pas de distinction entre le simplement subjectif et l'objectif, qui croit fermement que les qualités subjectives sont dans les choses réelles: par exemple ,Dieu, pour ce qui les concerne, n'est qu'une suite d'idées délirantes: un Dieu produit par l'imagination, avec des formes humaines, qui surveille le comportement des hommes (comme un gardien de prison) , qui éprouve un manque ... La nature est finaliste, vitaliste: la projection de la finalité ,celle qui est manifestée par le comportement des hommes: la foi est par l'ouïe, c'est à dire par ouï-dire. Par exemple, la contingence est le produit de l'ignorance: la contingence n'est pas dans les choses!
On comprend que l'homme qui en reste à la connaissance du premier genre, comme l'homme enchaîné dans la caverne de Platon, soit habité par la peur; et comme on comprend cela ! N'a-t-il pas donné la puissance infinie à un être imaginaire qui a tous les défauts de l'homme: il désire, il éprouve un manque et si on ne lui donne pas ce qu'il veut, il se met en colère ... Il est rancunier.... Il est jaloux.
Ainsi l'homme livré aux passions non réfléchies a son désir exacerbé par l'imagination, est enchaîné à ce qui n'est pas lui, à des choses qui ne sont pas objectivement bonnes, mais qui lui paraissent bonnes parce qu'il les désire. Comme il les croit bonnes en elles-mêmes, il veut les posséder, il poursuit l'avoir, le principal obstacle devant celui qui cherche le bonheur. Cette passion pour l'avoir, pour la possession qui enchaîne, a de bien cruelles conséquences dont Rousseau s'inspire dans Le discours sur l'origine de l'inégalité, début de la deuxième partie.
La guerre de tous contre tous; on se déchire pour ce qui n'a pas de valeur en soi et on en veut toujours plus; l'insécurité, la peur de mourir, la servitude, tout cela parce que la connaissance du premier genre en confondant le subjectif et l'objectif, en prenant le subjectif pour la vérité fait miroiter aux yeux des hommes un avoir qui n'existe pas, qui n'est que le produit de l'ignorance et de l'imagination.
La connaissance du premier genre est le lieu de l'erreur, de la servitude, du malheur.
"Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux mêmes, en vue d'une fin et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui même dirige tout vers une certaine fin; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendit un culte... cette doctrine détruit la perfection de Dieu; car, si Dieu agit pour une fin, il appète (il cherche à atteindre) nécessairement quelque chose de quoi il est privé" Ethique , I, Proposition XXXVI.
- La connaissance du deuxième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Avec elle, selon Spinoza, commence la possibilité d'un accès à la vérité car elle permet de distinguer le vrai du faux.
Dans ces conditions, comme il est impossible de vouloir le faux en sachant qu'il est faux, et puisque dans la connaissance du deuxième genre on distingue le vrai du faux, l'erreur ne peut appartenir à ce mode de connaissance: l'unique source de l'erreur reste donc la connaissance du premier genre.
Avec ce deuxième genre de connaissance, on commence donc à apprendre, à connaître, en définissant de manière générale et en déduisant des propriétés générales selon l'enchaînement rigoureux d'une démarche rationnellement conduite celle-là même qui conduit la science des axiomes aux lois. C'est donc bien la Raison, ce pouvoir de distinguer le vrai du faux par des raisonnements, qui est l'esprit de ce mode de connaissance.
Et certes, il ne s'agit pas de connaissance intuitive mais de connaissance discursive par le détour d'un raisonnement.
Cette connaissance par le détour permet d'investir la chose de l'extérieur en remontant, par le principe de causalité, de l'effet à la cause ou en descendant de l'universel au particulier, par le principe, d'identité, dans le syllogisme.
Parce qu'il se tient dans la généralité un tel mode de connaissance ne saurait donner la chose dans son essence singulière. En toute rigueur, cette connaissance contient de l'ignorance non parce qu'elle véhicule l'erreur, mais parce que, étant partielle, elle ne connaît pas de la cause ce qui n'est pas dans l'effet, ce qui rend cette connaissance inadéquate comme Spinoza le signalait fermement dans le Traité sur la réforme de l'entendement.
Dans l'Éthique Spinoza, plus soucieux de l'absence d'erreur dans la connaissance du deuxième genre, et eu égard au fait que ce mode de connaissance dégage des propriétés de la chose, qualifie en ce sens cette connaissance d'adéquate, à ce qu'elle connaît et uniquement à ce qu'elle connaît.
Reste que, c'est la validité qui qualifie ce mode de connaissance de la Raison et non la vérité copie de la singularité d'une chose: c'est une connaissance par des notions communes, une connaissance abstraite qui se borne à la description des propriétés, comme le mouvement et le repos, les lois et les règles de la nature... ce qui ne permet pas de percevoir une chose dans sa singularité.
Par la sensation du corps, nous concluons bien que l'âme est unie au corps: cette conclusion s'effectue par un raisonnement qui nous donne la certitude d'être dans le vrai quand nous affirmons l'union, mais ce mode de connaissance: "il y a une relation", ne nous permet pas de percevoir en quoi cette union consiste.
8 - La connaissance du troisième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Transition: nous avons vu, à la fin de la page précédente, que la connaissance du deuxième genre était vraie en ce qu'elle affirmait des propriétés générales d'une chose, mais qu'elle ne pouvait pas percevoir la singularité de l'essence d'une chose: elle procédait en effet par le détour d'un discours qui s'appuyait sur le principe de causalité et sur la rigueur déductive du syllogisme. Par exemple, de la sensation on peut bien conclure l'union de l'âme et du corps, mais en aucun percevoir ce que cela est, cette union , et comment sortir du dualisme qui,en séparant l'âme (pensée) et le corps (étendue), se rend incapable d'expliquer leur interaction. En fait, il y a de l'ignorance dans la connaissance du deuxième genre: dans ce cas elle ignore ce qu'est l'union. On pourrait dire que ce mode de connaissance est vrai en ce qu'il affirme par le principe de causalité en remontant d'une cause à son effet, mais qu'elle est partielle puisqu'on ne retrouve dans les faits que ce qu'il y avait dans la cause et non pas ce qui fait l'essence de l'effet.
Seule la connaissance du troisième genre peut percevoir ce qu'est l'union: l'âme étant l'idée du corps, ou si l'on préfère sa conscience, les apories du dualisme sont levées.
La connaissance du troisième genre.
L'esprit qui anime la connaissance du troisième genre et le discours sur ce troisième mode de connaissance, l'intuition philosophique de Spinoza dont Bergson nous donne une approximation, "c'est le sentiment d'une coïncidence entre l'acte par lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l'opération par laquelle Dieu l'engendre".
C'est dire que la montée et la descente, l'aller et le retour, sont ressenties comme si ce n'était qu'un seul et même mouvement. Ainsi, par exemple, chez Descartes, dans Regulae, règle III et XI, la déduction, aidée par la mémoire et la rapidité de l'esprit devient intuition, vision directe.
Essayons maintenant d'exposer ce qu'est la connaissance du troisième genre.
(Ce n'est qu'une propédeutique à la lecture de Spinoza qui seul, est à même de l'exprimer.)
- Comme dans les deux premiers genres, il s'agit d'une perception mais cette perception est intuitive, ce qui revient à dire que c'est un acte qui atteint directement la réalité, qui atteint la réalité en elle même ce qui s'accompagne d'une certitude absolue de telle manière qu'il ne faut rien d'autre, aucun discours, pour atteindre cette certitude. Intuition signifie "d'un coup d'oeil": on peut dire que la connaissance est perception directe et immédiate par un coup d'oeil. Autant dire qu'une telle connaissance est pleine, véritable puisque c'est par sa seule essence que la chose est perçue, en elle même. L'intuition se suffit à elle même car elle donne d'un coup d'oeil sur une essence tout ce qu'on peut en savoir.
"Une chose est perçue par sa seule essence quand par cela même que je sais quelque chose, je sais ce que c'est de savoir quelque chose ou quand, par la connaissance que j'ai de l'essence de l'âme, je sais qu'elle est unie au corps." (dans l'exacte mesure où elle est l'idée du corps.)
Percevoir une chose par sa seule essence c'est en avoir l'idée, la forme intellectuelle, l'idée vraie fondée bien entendu non sur une évidence sensible mais sur une évidence rationnelle.
La connaissance du troisième genre est donc une "Science intuitive", qui accède à la connaissance des choses singulières dans leur singularité, par intuition intellectuelle: elle permet de voir chaque chose dans sa nature propre et dans son lien avec la totalité: elle est un mode de tel ou tel attribut de Dieu.
C'est ainsi que la connaissance du troisième genre perçoit directement les idées des choses singulières, chaque idée enveloppant le concept de leur attribut, c'est à dire l'essence éternelle de Dieu. La conséquence c'est que "plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu." (Éthique, V, XXIV).
On comprend que la nature, le suprême effort de l'esprit soit de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance (Éthique, V, XXV).
Ce qui accompagne toute compréhension c'est la joie, mais celui qui accède à la connaissance du troisième genre éprouve la suprême joie. L'idée vraie est "un mode du penser, à savoir l'acte même de comprendre."
________________________________
En lisant l'Éthique, gardons bien en mémoire ces deux points de vue sur la nécessité: d'une part, la nécessité c'est la nature d'un être qui agit en fonction de sa nature (= liberté). D'autre part, c'est le milieu dans lequel cet être est inséré: ce milieu n'est rien d'autre que les actions des autres êtres qui sont pour lui origine de passions (= contrainte).
L'intérêt de lire maintenant les dernières lignes de l'Éthique, c'est de comprendre le sens de l'oeuvre, sa signification et son orientation
Fièrement Spinoza écrit: "J'en ai ainsi terminé, avec tout ce que je voulais montrer concernant la puissance de l'esprit (nature de l'homme) sur les sentiments et concernant la liberté de l'esprit." (agir en fonction de soi-même.) C'est donc bien une "fin" qui s'annonce ici dans le double sens du terme: c'est un bilan et tout est dit sur la béatitude et la liberté et sur leur rapport.
=> L'ignorant, dont l'existence n'est que passion, épreuve, car il ne cesse de subir la nécessité dans laquelle il est inséré , voit ses actions déterminées par d'autres forces que la sienne. Ne cessant de sentir des forces extérieures qui s'exercent sur lui, son existence est déterminée comme passion au point que cesser de pâtir revient pour lui à cesser d'être.
Au contraire, pour le sage, si la connaissance du troisième du genre est la voie royale de la béatitude et de la liberté c'est que grâce à elle, grâce à .la connaissance intuitive, l'homme agit selon l'esprit, selon la nécessité de sa nature, en accédant à la conscience de soi, du monde et à l'amour de Dieu.
Par là il devient actif, au contraire de l'ignorant toujours passif et souffrant, toujours poussé de côté et d'autre: en effet rien dans son activité ne s'explique que par lui même, par sa nature véritable qui est esprit: son activité devient exercice de la vertu et cet exercice est pour lui source de liberté, d'expansion et de joie. La liberté du sage est proportionnelle à l'exercice de sa puissance sur les sentiments. Loin d'être issue d'une volonté qui réprimerait les sentiments, d'une volonté qui n'existe que comme fumée d'une abstraction, cette joie est issue de la joie d'aimer Dieu, c'est une origine, une source. Il faut comprendre que le pouvoir jaillit de la joie donnée par la satisfaction de comprendre et d'aimer le moi, le monde et Dieu.
L'ignorant cesse d'être dès qu'il cesse de souffrir, le sage ne cesse pas d'être parce qu'il ne peut être réduit à des passions : en agissant il exerce sa liberté.
Spinoza nous a conduits avec rigueur sur la voie qui mène à la béatitude et à la liberté: voie difficile (les choses belles sont difficiles disait déjà Platon); mais comment pourrait-il en être autrement s'il s'agit de trouver la perle rare qu'est la vraie satisfaction de l'âme?
Ainsi l'Éthique se termine en nous engageant à rechercher et à trouver la vraie satisfaction de l'âme dans l'accomplissement de soi, le bonheur comme liberté.
1. Spinoza classe les "genres" de la connaissance : le premier genre est la "connaissance" imaginaire et par "expérience vague" ou par "ouï-dire", c'est-à-dire répétition et anonymat; le deuxième genre est la connaissance adéquate, à la fois vraie, universelle et formelle; le troisième genre de connaissance, comme "science intuitive" et comme passage "de l'idée adéquate de l'essence des attributs à l'essence adéquate des choses" (Éth. , II, 40, 2e sc.), est une authentique connaissance, à la fois rationnelle et intuitive.
" L'Éthique "
A la recherche du bonheur, de la liberté et de la béatitude
6 - La connaissance du premier genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, Deuxième partie, XV, Scolie II
Pour une libération radicale, l'Éthique propose un itinéraire qui permet de passer de l'erreur (connaissance du premier genre par ouï-dire et par expérience non réfléchie) à la vérité (croyance vraie, connaissance du deuxième genre, et connaissance intuitive claire et distincte, connaissance du troisième genre).
La connaissance du premier genre désigne d'abord la connaissance par ouï-dire, ensuite la connaissance que nous avons par quelques expériences sensibles où la réflexion était absente.
Ce genre de connaissance, d'où le doute et donc l'esprit sont exclus où l'imagination anthropomorphique se donne libre cours est souvent sujet à l'erreur. C'est le lieu de la conjecture et de l'incertitude.
Dans la pratique, elle accompagne: -les passions non réfléchies et par là aveugles à elles mêmes; -le fanatisme de celui qui ne sait pas douter de ses convictions, qui s'enferme dans son temple d'illusions que nourrit l'imagination.
Il faut comprendre que l'anthropomorphisme a pour source cette connaissance du premier genre qui ne fait pas de distinction entre le simplement subjectif et l'objectif, qui croit fermement que les qualités subjectives sont dans les choses réelles: par exemple ,Dieu, pour ce qui les concerne, n'est qu'une suite d'idées délirantes: un Dieu produit par l'imagination, avec des formes humaines, qui surveille le comportement des hommes (comme un gardien de prison) , qui éprouve un manque ... La nature est finaliste, vitaliste: la projection de la finalité ,celle qui est manifestée par le comportement des hommes: la foi est par l'ouïe, c'est à dire par ouï-dire. Par exemple, la contingence est le produit de l'ignorance: la contingence n'est pas dans les choses!
On comprend que l'homme qui en reste à la connaissance du premier genre, comme l'homme enchaîné dans la caverne de Platon, soit habité par la peur; et comme on comprend cela ! N'a-t-il pas donné la puissance infinie à un être imaginaire qui a tous les défauts de l'homme: il désire, il éprouve un manque et si on ne lui donne pas ce qu'il veut, il se met en colère ... Il est rancunier.... Il est jaloux.
Ainsi l'homme livré aux passions non réfléchies a son désir exacerbé par l'imagination, est enchaîné à ce qui n'est pas lui, à des choses qui ne sont pas objectivement bonnes, mais qui lui paraissent bonnes parce qu'il les désire. Comme il les croit bonnes en elles-mêmes, il veut les posséder, il poursuit l'avoir, le principal obstacle devant celui qui cherche le bonheur. Cette passion pour l'avoir, pour la possession qui enchaîne, a de bien cruelles conséquences dont Rousseau s'inspire dans Le discours sur l'origine de l'inégalité, début de la deuxième partie.
La guerre de tous contre tous; on se déchire pour ce qui n'a pas de valeur en soi et on en veut toujours plus; l'insécurité, la peur de mourir, la servitude, tout cela parce que la connaissance du premier genre en confondant le subjectif et l'objectif, en prenant le subjectif pour la vérité fait miroiter aux yeux des hommes un avoir qui n'existe pas, qui n'est que le produit de l'ignorance et de l'imagination.
La connaissance du premier genre est le lieu de l'erreur, de la servitude, du malheur.
"Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux mêmes, en vue d'une fin et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui même dirige tout vers une certaine fin; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendit un culte... cette doctrine détruit la perfection de Dieu; car, si Dieu agit pour une fin, il appète (il cherche à atteindre) nécessairement quelque chose de quoi il est privé" Ethique , I, Proposition XXXVI.
- La connaissance du deuxième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Avec elle, selon Spinoza, commence la possibilité d'un accès à la vérité car elle permet de distinguer le vrai du faux.
Dans ces conditions, comme il est impossible de vouloir le faux en sachant qu'il est faux, et puisque dans la connaissance du deuxième genre on distingue le vrai du faux, l'erreur ne peut appartenir à ce mode de connaissance: l'unique source de l'erreur reste donc la connaissance du premier genre.
Avec ce deuxième genre de connaissance, on commence donc à apprendre, à connaître, en définissant de manière générale et en déduisant des propriétés générales selon l'enchaînement rigoureux d'une démarche rationnellement conduite celle-là même qui conduit la science des axiomes aux lois. C'est donc bien la Raison, ce pouvoir de distinguer le vrai du faux par des raisonnements, qui est l'esprit de ce mode de connaissance.
Et certes, il ne s'agit pas de connaissance intuitive mais de connaissance discursive par le détour d'un raisonnement.
Cette connaissance par le détour permet d'investir la chose de l'extérieur en remontant, par le principe de causalité, de l'effet à la cause ou en descendant de l'universel au particulier, par le principe, d'identité, dans le syllogisme.
Parce qu'il se tient dans la généralité un tel mode de connaissance ne saurait donner la chose dans son essence singulière. En toute rigueur, cette connaissance contient de l'ignorance non parce qu'elle véhicule l'erreur, mais parce que, étant partielle, elle ne connaît pas de la cause ce qui n'est pas dans l'effet, ce qui rend cette connaissance inadéquate comme Spinoza le signalait fermement dans le Traité sur la réforme de l'entendement.
Dans l'Éthique Spinoza, plus soucieux de l'absence d'erreur dans la connaissance du deuxième genre, et eu égard au fait que ce mode de connaissance dégage des propriétés de la chose, qualifie en ce sens cette connaissance d'adéquate, à ce qu'elle connaît et uniquement à ce qu'elle connaît.
Reste que, c'est la validité qui qualifie ce mode de connaissance de la Raison et non la vérité copie de la singularité d'une chose: c'est une connaissance par des notions communes, une connaissance abstraite qui se borne à la description des propriétés, comme le mouvement et le repos, les lois et les règles de la nature... ce qui ne permet pas de percevoir une chose dans sa singularité.
Par la sensation du corps, nous concluons bien que l'âme est unie au corps: cette conclusion s'effectue par un raisonnement qui nous donne la certitude d'être dans le vrai quand nous affirmons l'union, mais ce mode de connaissance: "il y a une relation", ne nous permet pas de percevoir en quoi cette union consiste.
8 - La connaissance du troisième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Transition: nous avons vu, à la fin de la page précédente, que la connaissance du deuxième genre était vraie en ce qu'elle affirmait des propriétés générales d'une chose, mais qu'elle ne pouvait pas percevoir la singularité de l'essence d'une chose: elle procédait en effet par le détour d'un discours qui s'appuyait sur le principe de causalité et sur la rigueur déductive du syllogisme. Par exemple, de la sensation on peut bien conclure l'union de l'âme et du corps, mais en aucun percevoir ce que cela est, cette union , et comment sortir du dualisme qui,en séparant l'âme (pensée) et le corps (étendue), se rend incapable d'expliquer leur interaction. En fait, il y a de l'ignorance dans la connaissance du deuxième genre: dans ce cas elle ignore ce qu'est l'union. On pourrait dire que ce mode de connaissance est vrai en ce qu'il affirme par le principe de causalité en remontant d'une cause à son effet, mais qu'elle est partielle puisqu'on ne retrouve dans les faits que ce qu'il y avait dans la cause et non pas ce qui fait l'essence de l'effet.
Seule la connaissance du troisième genre peut percevoir ce qu'est l'union: l'âme étant l'idée du corps, ou si l'on préfère sa conscience, les apories du dualisme sont levées.
La connaissance du troisième genre.
L'esprit qui anime la connaissance du troisième genre et le discours sur ce troisième mode de connaissance, l'intuition philosophique de Spinoza dont Bergson nous donne une approximation, "c'est le sentiment d'une coïncidence entre l'acte par lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l'opération par laquelle Dieu l'engendre".
C'est dire que la montée et la descente, l'aller et le retour, sont ressenties comme si ce n'était qu'un seul et même mouvement. Ainsi, par exemple, chez Descartes, dans Regulae, règle III et XI, la déduction, aidée par la mémoire et la rapidité de l'esprit devient intuition, vision directe.
Essayons maintenant d'exposer ce qu'est la connaissance du troisième genre.
(Ce n'est qu'une propédeutique à la lecture de Spinoza qui seul, est à même de l'exprimer.)
- Comme dans les deux premiers genres, il s'agit d'une perception mais cette perception est intuitive, ce qui revient à dire que c'est un acte qui atteint directement la réalité, qui atteint la réalité en elle même ce qui s'accompagne d'une certitude absolue de telle manière qu'il ne faut rien d'autre, aucun discours, pour atteindre cette certitude. Intuition signifie "d'un coup d'oeil": on peut dire que la connaissance est perception directe et immédiate par un coup d'oeil. Autant dire qu'une telle connaissance est pleine, véritable puisque c'est par sa seule essence que la chose est perçue, en elle même. L'intuition se suffit à elle même car elle donne d'un coup d'oeil sur une essence tout ce qu'on peut en savoir.
"Une chose est perçue par sa seule essence quand par cela même que je sais quelque chose, je sais ce que c'est de savoir quelque chose ou quand, par la connaissance que j'ai de l'essence de l'âme, je sais qu'elle est unie au corps." (dans l'exacte mesure où elle est l'idée du corps.)
Percevoir une chose par sa seule essence c'est en avoir l'idée, la forme intellectuelle, l'idée vraie fondée bien entendu non sur une évidence sensible mais sur une évidence rationnelle.
La connaissance du troisième genre est donc une "Science intuitive", qui accède à la connaissance des choses singulières dans leur singularité, par intuition intellectuelle: elle permet de voir chaque chose dans sa nature propre et dans son lien avec la totalité: elle est un mode de tel ou tel attribut de Dieu.
C'est ainsi que la connaissance du troisième genre perçoit directement les idées des choses singulières, chaque idée enveloppant le concept de leur attribut, c'est à dire l'essence éternelle de Dieu. La conséquence c'est que "plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu." (Éthique, V, XXIV).
On comprend que la nature, le suprême effort de l'esprit soit de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance (Éthique, V, XXV).
Ce qui accompagne toute compréhension c'est la joie, mais celui qui accède à la connaissance du troisième genre éprouve la suprême joie. L'idée vraie est "un mode du penser, à savoir l'acte même de comprendre."
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En lisant l'Éthique, gardons bien en mémoire ces deux points de vue sur la nécessité: d'une part, la nécessité c'est la nature d'un être qui agit en fonction de sa nature (= liberté). D'autre part, c'est le milieu dans lequel cet être est inséré: ce milieu n'est rien d'autre que les actions des autres êtres qui sont pour lui origine de passions (= contrainte).
L'intérêt de lire maintenant les dernières lignes de l'Éthique, c'est de comprendre le sens de l'oeuvre, sa signification et son orientation
Fièrement Spinoza écrit: "J'en ai ainsi terminé, avec tout ce que je voulais montrer concernant la puissance de l'esprit (nature de l'homme) sur les sentiments et concernant la liberté de l'esprit." (agir en fonction de soi-même.) C'est donc bien une "fin" qui s'annonce ici dans le double sens du terme: c'est un bilan et tout est dit sur la béatitude et la liberté et sur leur rapport.
=> L'ignorant, dont l'existence n'est que passion, épreuve, car il ne cesse de subir la nécessité dans laquelle il est inséré , voit ses actions déterminées par d'autres forces que la sienne. Ne cessant de sentir des forces extérieures qui s'exercent sur lui, son existence est déterminée comme passion au point que cesser de pâtir revient pour lui à cesser d'être.
Au contraire, pour le sage, si la connaissance du troisième du genre est la voie royale de la béatitude et de la liberté c'est que grâce à elle, grâce à .la connaissance intuitive, l'homme agit selon l'esprit, selon la nécessité de sa nature, en accédant à la conscience de soi, du monde et à l'amour de Dieu.
Par là il devient actif, au contraire de l'ignorant toujours passif et souffrant, toujours poussé de côté et d'autre: en effet rien dans son activité ne s'explique que par lui même, par sa nature véritable qui est esprit: son activité devient exercice de la vertu et cet exercice est pour lui source de liberté, d'expansion et de joie. La liberté du sage est proportionnelle à l'exercice de sa puissance sur les sentiments. Loin d'être issue d'une volonté qui réprimerait les sentiments, d'une volonté qui n'existe que comme fumée d'une abstraction, cette joie est issue de la joie d'aimer Dieu, c'est une origine, une source. Il faut comprendre que le pouvoir jaillit de la joie donnée par la satisfaction de comprendre et d'aimer le moi, le monde et Dieu.
L'ignorant cesse d'être dès qu'il cesse de souffrir, le sage ne cesse pas d'être parce qu'il ne peut être réduit à des passions : en agissant il exerce sa liberté.
Spinoza nous a conduits avec rigueur sur la voie qui mène à la béatitude et à la liberté: voie difficile (les choses belles sont difficiles disait déjà Platon); mais comment pourrait-il en être autrement s'il s'agit de trouver la perle rare qu'est la vraie satisfaction de l'âme?
Ainsi l'Éthique se termine en nous engageant à rechercher et à trouver la vraie satisfaction de l'âme dans l'accomplissement de soi, le bonheur comme liberté.
1. Spinoza classe les "genres" de la connaissance : le premier genre est la "connaissance" imaginaire et par "expérience vague" ou par "ouï-dire", c'est-à-dire répétition et anonymat; le deuxième genre est la connaissance adéquate, à la fois vraie, universelle et formelle; le troisième genre de connaissance, comme "science intuitive" et comme passage "de l'idée adéquate de l'essence des attributs à l'essence adéquate des choses" (Éth. , II, 40, 2e sc.), est une authentique connaissance, à la fois rationnelle et intuitive.
" L'Éthique "
A la recherche du bonheur, de la liberté et de la béatitude
6 - La connaissance du premier genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, Deuxième partie, XV, Scolie II
Pour une libération radicale, l'Éthique propose un itinéraire qui permet de passer de l'erreur (connaissance du premier genre par ouï-dire et par expérience non réfléchie) à la vérité (croyance vraie, connaissance du deuxième genre, et connaissance intuitive claire et distincte, connaissance du troisième genre).
La connaissance du premier genre désigne d'abord la connaissance par ouï-dire, ensuite la connaissance que nous avons par quelques expériences sensibles où la réflexion était absente.
Ce genre de connaissance, d'où le doute et donc l'esprit sont exclus où l'imagination anthropomorphique se donne libre cours est souvent sujet à l'erreur. C'est le lieu de la conjecture et de l'incertitude.
Dans la pratique, elle accompagne: -les passions non réfléchies et par là aveugles à elles mêmes; -le fanatisme de celui qui ne sait pas douter de ses convictions, qui s'enferme dans son temple d'illusions que nourrit l'imagination.
Il faut comprendre que l'anthropomorphisme a pour source cette connaissance du premier genre qui ne fait pas de distinction entre le simplement subjectif et l'objectif, qui croit fermement que les qualités subjectives sont dans les choses réelles: par exemple ,Dieu, pour ce qui les concerne, n'est qu'une suite d'idées délirantes: un Dieu produit par l'imagination, avec des formes humaines, qui surveille le comportement des hommes (comme un gardien de prison) , qui éprouve un manque ... La nature est finaliste, vitaliste: la projection de la finalité ,celle qui est manifestée par le comportement des hommes: la foi est par l'ouïe, c'est à dire par ouï-dire. Par exemple, la contingence est le produit de l'ignorance: la contingence n'est pas dans les choses!
On comprend que l'homme qui en reste à la connaissance du premier genre, comme l'homme enchaîné dans la caverne de Platon, soit habité par la peur; et comme on comprend cela ! N'a-t-il pas donné la puissance infinie à un être imaginaire qui a tous les défauts de l'homme: il désire, il éprouve un manque et si on ne lui donne pas ce qu'il veut, il se met en colère ... Il est rancunier.... Il est jaloux.
Ainsi l'homme livré aux passions non réfléchies a son désir exacerbé par l'imagination, est enchaîné à ce qui n'est pas lui, à des choses qui ne sont pas objectivement bonnes, mais qui lui paraissent bonnes parce qu'il les désire. Comme il les croit bonnes en elles-mêmes, il veut les posséder, il poursuit l'avoir, le principal obstacle devant celui qui cherche le bonheur. Cette passion pour l'avoir, pour la possession qui enchaîne, a de bien cruelles conséquences dont Rousseau s'inspire dans Le discours sur l'origine de l'inégalité, début de la deuxième partie.
La guerre de tous contre tous; on se déchire pour ce qui n'a pas de valeur en soi et on en veut toujours plus; l'insécurité, la peur de mourir, la servitude, tout cela parce que la connaissance du premier genre en confondant le subjectif et l'objectif, en prenant le subjectif pour la vérité fait miroiter aux yeux des hommes un avoir qui n'existe pas, qui n'est que le produit de l'ignorance et de l'imagination.
La connaissance du premier genre est le lieu de l'erreur, de la servitude, du malheur.
"Les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux mêmes, en vue d'une fin et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui même dirige tout vers une certaine fin; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendit un culte... cette doctrine détruit la perfection de Dieu; car, si Dieu agit pour une fin, il appète (il cherche à atteindre) nécessairement quelque chose de quoi il est privé" Ethique , I, Proposition XXXVI.
- La connaissance du deuxième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Avec elle, selon Spinoza, commence la possibilité d'un accès à la vérité car elle permet de distinguer le vrai du faux.
Dans ces conditions, comme il est impossible de vouloir le faux en sachant qu'il est faux, et puisque dans la connaissance du deuxième genre on distingue le vrai du faux, l'erreur ne peut appartenir à ce mode de connaissance: l'unique source de l'erreur reste donc la connaissance du premier genre.
Avec ce deuxième genre de connaissance, on commence donc à apprendre, à connaître, en définissant de manière générale et en déduisant des propriétés générales selon l'enchaînement rigoureux d'une démarche rationnellement conduite celle-là même qui conduit la science des axiomes aux lois. C'est donc bien la Raison, ce pouvoir de distinguer le vrai du faux par des raisonnements, qui est l'esprit de ce mode de connaissance.
Et certes, il ne s'agit pas de connaissance intuitive mais de connaissance discursive par le détour d'un raisonnement.
Cette connaissance par le détour permet d'investir la chose de l'extérieur en remontant, par le principe de causalité, de l'effet à la cause ou en descendant de l'universel au particulier, par le principe, d'identité, dans le syllogisme.
Parce qu'il se tient dans la généralité un tel mode de connaissance ne saurait donner la chose dans son essence singulière. En toute rigueur, cette connaissance contient de l'ignorance non parce qu'elle véhicule l'erreur, mais parce que, étant partielle, elle ne connaît pas de la cause ce qui n'est pas dans l'effet, ce qui rend cette connaissance inadéquate comme Spinoza le signalait fermement dans le Traité sur la réforme de l'entendement.
Dans l'Éthique Spinoza, plus soucieux de l'absence d'erreur dans la connaissance du deuxième genre, et eu égard au fait que ce mode de connaissance dégage des propriétés de la chose, qualifie en ce sens cette connaissance d'adéquate, à ce qu'elle connaît et uniquement à ce qu'elle connaît.
Reste que, c'est la validité qui qualifie ce mode de connaissance de la Raison et non la vérité copie de la singularité d'une chose: c'est une connaissance par des notions communes, une connaissance abstraite qui se borne à la description des propriétés, comme le mouvement et le repos, les lois et les règles de la nature... ce qui ne permet pas de percevoir une chose dans sa singularité.
Par la sensation du corps, nous concluons bien que l'âme est unie au corps: cette conclusion s'effectue par un raisonnement qui nous donne la certitude d'être dans le vrai quand nous affirmons l'union, mais ce mode de connaissance: "il y a une relation", ne nous permet pas de percevoir en quoi cette union consiste.
8 - La connaissance du troisième genre. (par Joseph Llapasset)
Éthique, proposition XL, Scolie II
Transition: nous avons vu, à la fin de la page précédente, que la connaissance du deuxième genre était vraie en ce qu'elle affirmait des propriétés générales d'une chose, mais qu'elle ne pouvait pas percevoir la singularité de l'essence d'une chose: elle procédait en effet par le détour d'un discours qui s'appuyait sur le principe de causalité et sur la rigueur déductive du syllogisme. Par exemple, de la sensation on peut bien conclure l'union de l'âme et du corps, mais en aucun percevoir ce que cela est, cette union , et comment sortir du dualisme qui,en séparant l'âme (pensée) et le corps (étendue), se rend incapable d'expliquer leur interaction. En fait, il y a de l'ignorance dans la connaissance du deuxième genre: dans ce cas elle ignore ce qu'est l'union. On pourrait dire que ce mode de connaissance est vrai en ce qu'il affirme par le principe de causalité en remontant d'une cause à son effet, mais qu'elle est partielle puisqu'on ne retrouve dans les faits que ce qu'il y avait dans la cause et non pas ce qui fait l'essence de l'effet.
Seule la connaissance du troisième genre peut percevoir ce qu'est l'union: l'âme étant l'idée du corps, ou si l'on préfère sa conscience, les apories du dualisme sont levées.
La connaissance du troisième genre.
L'esprit qui anime la connaissance du troisième genre et le discours sur ce troisième mode de connaissance, l'intuition philosophique de Spinoza dont Bergson nous donne une approximation, "c'est le sentiment d'une coïncidence entre l'acte par lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l'opération par laquelle Dieu l'engendre".
C'est dire que la montée et la descente, l'aller et le retour, sont ressenties comme si ce n'était qu'un seul et même mouvement. Ainsi, par exemple, chez Descartes, dans Regulae, règle III et XI, la déduction, aidée par la mémoire et la rapidité de l'esprit devient intuition, vision directe.
Essayons maintenant d'exposer ce qu'est la connaissance du troisième genre.
(Ce n'est qu'une propédeutique à la lecture de Spinoza qui seul, est à même de l'exprimer.)
- Comme dans les deux premiers genres, il s'agit d'une perception mais cette perception est intuitive, ce qui revient à dire que c'est un acte qui atteint directement la réalité, qui atteint la réalité en elle même ce qui s'accompagne d'une certitude absolue de telle manière qu'il ne faut rien d'autre, aucun discours, pour atteindre cette certitude. Intuition signifie "d'un coup d'oeil": on peut dire que la connaissance est perception directe et immédiate par un coup d'oeil. Autant dire qu'une telle connaissance est pleine, véritable puisque c'est par sa seule essence que la chose est perçue, en elle même. L'intuition se suffit à elle même car elle donne d'un coup d'oeil sur une essence tout ce qu'on peut en savoir.
"Une chose est perçue par sa seule essence quand par cela même que je sais quelque chose, je sais ce que c'est de savoir quelque chose ou quand, par la connaissance que j'ai de l'essence de l'âme, je sais qu'elle est unie au corps." (dans l'exacte mesure où elle est l'idée du corps.)
Percevoir une chose par sa seule essence c'est en avoir l'idée, la forme intellectuelle, l'idée vraie fondée bien entendu non sur une évidence sensible mais sur une évidence rationnelle.
La connaissance du troisième genre est donc une "Science intuitive", qui accède à la connaissance des choses singulières dans leur singularité, par intuition intellectuelle: elle permet de voir chaque chose dans sa nature propre et dans son lien avec la totalité: elle est un mode de tel ou tel attribut de Dieu.
C'est ainsi que la connaissance du troisième genre perçoit directement les idées des choses singulières, chaque idée enveloppant le concept de leur attribut, c'est à dire l'essence éternelle de Dieu. La conséquence c'est que "plus nous comprenons les choses singulières, plus nous comprenons Dieu." (Éthique, V, XXIV).
On comprend que la nature, le suprême effort de l'esprit soit de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance (Éthique, V, XXV).
Ce qui accompagne toute compréhension c'est la joie, mais celui qui accède à la connaissance du troisième genre éprouve la suprême joie. L'idée vraie est "un mode du penser, à savoir l'acte même de comprendre."
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En lisant l'Éthique, gardons bien en mémoire ces deux points de vue sur la nécessité: d'une part, la nécessité c'est la nature d'un être qui agit en fonction de sa nature (= liberté). D'autre part, c'est le milieu dans lequel cet être est inséré: ce milieu n'est rien d'autre que les actions des autres êtres qui sont pour lui origine de passions (= contrainte).
L'intérêt de lire maintenant les dernières lignes de l'Éthique, c'est de comprendre le sens de l'oeuvre, sa signification et son orientation
Fièrement Spinoza écrit: "J'en ai ainsi terminé, avec tout ce que je voulais montrer concernant la puissance de l'esprit (nature de l'homme) sur les sentiments et concernant la liberté de l'esprit." (agir en fonction de soi-même.) C'est donc bien une "fin" qui s'annonce ici dans le double sens du terme: c'est un bilan et tout est dit sur la béatitude et la liberté et sur leur rapport.
=> L'ignorant, dont l'existence n'est que passion, épreuve, car il ne cesse de subir la nécessité dans laquelle il est inséré , voit ses actions déterminées par d'autres forces que la sienne. Ne cessant de sentir des forces extérieures qui s'exercent sur lui, son existence est déterminée comme passion au point que cesser de pâtir revient pour lui à cesser d'être.
Au contraire, pour le sage, si la connaissance du troisième du genre est la voie royale de la béatitude et de la liberté c'est que grâce à elle, grâce à .la connaissance intuitive, l'homme agit selon l'esprit, selon la nécessité de sa nature, en accédant à la conscience de soi, du monde et à l'amour de Dieu.
Par là il devient actif, au contraire de l'ignorant toujours passif et souffrant, toujours poussé de côté et d'autre: en effet rien dans son activité ne s'explique que par lui même, par sa nature véritable qui est esprit: son activité devient exercice de la vertu et cet exercice est pour lui source de liberté, d'expansion et de joie. La liberté du sage est proportionnelle à l'exercice de sa puissance sur les sentiments. Loin d'être issue d'une volonté qui réprimerait les sentiments, d'une volonté qui n'existe que comme fumée d'une abstraction, cette joie est issue de la joie d'aimer Dieu, c'est une origine, une source. Il faut comprendre que le pouvoir jaillit de la joie donnée par la satisfaction de comprendre et d'aimer le moi, le monde et Dieu.
L'ignorant cesse d'être dès qu'il cesse de souffrir, le sage ne cesse pas d'être parce qu'il ne peut être réduit à des passions : en agissant il exerce sa liberté.
Spinoza nous a conduits avec rigueur sur la voie qui mène à la béatitude et à la liberté: voie difficile (les choses belles sont difficiles disait déjà Platon); mais comment pourrait-il en être autrement s'il s'agit de trouver la perle rare qu'est la vraie satisfaction de l'âme?
Ainsi l'Éthique se termine en nous engageant à rechercher et à trouver la vraie satisfaction de l'âme dans l'accomplissement de soi, le bonheur comme liberté.