Dans les dessins de Philippe Renou, mélancolie et symboles côtoient d’abruptes perspectives et créatures de la nuit grâce à un langage pictural tantôt souple tantôt lapidaire. Ce mariage stylistique au carrefour de l’imaginaire symbolique et de l’héritage du surréalisme participe à la création d’un univers inquiétant, contrasté, où l’ombre en découd avec la lumière dans un espace aux dimensions biaisées, à la fois clos et infini comme un décor de théâtre où fenêtres, portes, escaliers ne débouchent sur rien sinon sur les lignes de fuite tronquées d’un néant en trompe-l’œil.
Dans cette arène à l’éclairage lunaire se débattent les personnages d’une maligne comédie. Baladins égarés aux bords du vide, funambules faméliques, vénus entravées et perchées sur des échasses en forme d’aiguilles, pantins désarticulés sont autant de figures de nos instincts les plus enfouis, de nos désirs sexuels les plus primitifs, socialement interdits, contraints, muselés.
Philippe Renou nous restitue sans concession l’expression directe de son monde intérieur, de ses sentiments contradictoires et de ses peurs enfantines.
Pourtant, rien d’impudique dans cette mise à nu car il connait déjà le dessous des cartes et dévoile une réalité travestie en constante métamorphose. Il brouille les grilles d’une interprétation trop facile et décline sans début ni fin les turpitudes d’une humanité condamnée à un bien risible destin.
Dans cet univers où grâce et effroi se conjuguent, la représentation féminine
séduit autant qu’elle effraie. Quant au mauvais larron, il a quitté la scène laissant derrière lui ses secrets dans des tiroirs empilés.
Hypertrophies, déformations, amputations sont les principaux attributs de ses figures enfermées dans leur solitude. Sous un ciel d’encre, la plume et le pinceau recouvrent des personnages longilignes, des géants affublés de masques grimaçants, des déesses en cage coiffées d’oursins piqués de noirs diadèmes.
D’autres, dénudées aux poitrines aiguës prolongées de prothèses griffues défient les rois d’un échiquier maléfique. Des cours suspendues, des portiques en ruine et des escaliers vertigineux composent les tréteaux de cet étrange théâtre qui s’anime sans se soumettre à quelques mots d’ordre. Au cœur des ténèbres se jouent et se dénouent les tribulations de nos démons nocturnes, entourés de saltimbanques garants de la dérision vitale qui fut jadis l’apanage des fous.
Fabrice Thomasseau–Artiste peintre–Professeur d'arts plastiques à Bruxelles.
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