Jean-François Dupuis : intarissable touche-à-tout
Par Dominic Tardif
«Il y en a qui trouve que ma polyvalence est ma principale qualité, d’autres que c’est mon plus grand défaut, que je devrais moins m’éparpiller », confie le photographe Jean-François Dupuis. Récit d’un parcours avec un intarissable touche-à-tout.
Googlez « Jean-François Dupuis ». Vous atterrirez rapidement sur son portfolio de photos de mariage, une série, tout aussi alimentaire soit-elle, dans laquelle on reconnaît déjà son flair pour le détail révélateur. Pas ici de sourire forcé sur fond bleu ou de regard échangé comme sur les affiches de comédies romantiques, aussi naturel que le glaçage sur le gâteau des époux. Dupuis débarque pendant les préparatifs d’une noce comme un photoreporter et se fait oublier, la meilleure technique pour prendre les convives en flagrant délit d’émotions.
Nous voilà bien loin des premières tentatives réalisées par le Sherbrookois à la fin des années 80, un travail d’épure, hyper-minimaliste. « C’est le grand André Kertész qui m’a allumé avec sa photo d’une assiette, une fourchette et son ombre. C’était simple, très zen, j’aimais la composition. J’ai photographié plusieurs fourchettes ensuite, c’est la première chose que j’ai faite en série. »
Après la froideur du métal, long détour par la chaleur du corps nu, avec une série de polaroïds érotiques (nombre d’entre eux sont en vente sur le site d’affiches www.clicart.com). Des compositions toutes en évanescence, en teintes bleutées et en ombres de femmes à la peau diaphane. « Je suis tombé sur une boîte de polaroïd pour une bouchée de pain dans une vente de garage », raconte Dupuis. « Ce qui est intéressant avec l’appareil, c’est l’effet vaporeux. L’image n’est pas net, ça ressemble quasiment à une peinture. »
Et puis comme pour mélanger les techniques argentiques avec laquelle il a appris son métier et les numériques auxquelles il s’est converti, l’artiste allait réaliser une série alliant, dans la noirceur de cette chambre noire appelée Photoshop, l’art fractal (art produit à partir de fonction numérique) et les dits polaroïds féminins. Résultat surprenant: les traînées de couleurs générées par des équations mathématiques magnifient les visages béats, lunaires, et les corps graciles des sujets.
Apprivoiser la lenteur
S’il a longtemps gagné sa croûte au début de sa carrière en croquant des photos de casting dans la métropole – « Il y a beaucoup de gens qui veulent devenir comédiens à Montréal », blague-t-il -, Jean-François Dupuis n’avait jamais inscrit portrait dans la partie projets personnels de son agenda. Il débutait cet été un travail de longue haleine et lourd de douleurs enfouies : ramener certains orphelins de Duplessis sur le lieu-genèse de leur drame, le site d’un hôpital abandonné à Saint-Ferdinand. « C’est désert comme paysage, on dirait qu’il y a eu une attaque nucléaire. » Malgré l’austérité du site et la gravité du sujet qu’il aborde, Dupuis apprivoise là une façon moins expéditive mais plus humaine de créer. « Il faut parler avec les gens, prendre son temps. On peut passer un après-midi au complet pour cinq ou six shots. Tu t’imbibes de leurs émotions, de ce qu’ils ressentent. » La destination ultime de ce travail en gestation : un livre.
Autre manifestation de sa polyvalence et de sa sensibilité curieuse, c’est à la Grosse Pomme que le photographe consacre sa prochaine exposition, à l’affiche au Belgo de Montréal dès mars 2011. Symphonie urbaine explore la technique de la multiple exposition sur un même cadre, qui restitue le constant mouvement caractéristique de New York avec des clichés d’un proverbial taxi jaune, de Times Square et ses billboards Budweiser ou de la devanture d’un bureau du NYPD. http://www.arts.jfdupuis.com