Ma rencontre avec mon public…
une question de liberté peut-être ?
Je dirais qu’elle se fait, grâce à mon expérience en sophrologie et à l’étude de la psychologie existentielle sur laquelle la sophrologie est fondée.
Je laisse aux spectateurs le soin de faire travailler leur imagination voire d’aiguiser leur regard. Rien ne leur est jamais imposé. Il est très important pour moi qu’ils se sentent libres.
Je pars d’une idée, d’une information captée par ci par là (journaux, TV, radio…) que je traduis dans « l’ici et maintenant » à travers ma propre perception, avec ce regard tridimensionnel « passé-présent-avenir » si cher aux sophrologues.
Quand apparaissent dans mes toiles des personnages, ils ne sont pas le Sujet, ils ne sont rien sans la matière. La matière (travail de fond très texturé exécuté au couteau) représente la Nature, le ou les personnages ne sont que des rajouts « terrestres » parce-que Dame Nature leur concède une place. Ils ne sont qu’Objets.
Je remplace l’Objet (l’Homme) par le Sujet, ce dernier devenant par là-même une grande figure de l’univers, où la connivence de l’être et de la nature fait loi.
Est-ce la signification d’une certaine humilité ?
Mon inspiration est faite d’exploration de mes images internes dans mon imaginaire déjà présent, conscient ou non. Je reste attentive aux phénomènes tels qu’ils se présentent : les structures de l’image sont importantes (spatialité, direction, ascension, chute, symétrie, temporalité). L’esthétisme n’est pas véritablement recherché, ce sont plutôt le mouvement, l’énergie, le côté spirituel qui m’intéressent. Tout se construit dans le « lâcher prise », étant moi-même animée d’un élan vital.
Faire apparaître l’invisible, aller au-delà du sujet traité.
Je pourrais expliquer cela en comparant ma démarche de peintre à un travail d’écriture.
Dans la méthodologie de la dissertation, nous avons la thèse ; en peinture, c’est l’information captée, l’atmosphère du moment.
Puis l’antithèse. En ramenant cette seconde phase à la peinture, c’est le moment où je vais m’engager : c’est la concrétisation de ma perception dans un acte d’intentionnalité.
Enfin vient le moment de la conclusion, où, sur le plan littéraire, le rédacteur va dépasser son sujet, c’est-à-dire entrevoir d’autres possibles. Arrivée à ce stade et dans le langage que j’entretiens avec ma toile, je vais attribuer à celle-ci un titre qui sera la synthèse de mon travail et laissera en suspension un questionnement, voire une piste de réflexion.
Par exemple : va-t-on vers un nouvel ordre écologique ?
Ecologie environnementale et aussi spirituelle (dans le sens littéral « de l’esprit »).
A mon sens, ma démarche artistique est très liée à mon entraînement sophrologique qui me place, à travers des exercices, dans un état de contemplation permanent. En sophrologie, nous oscillons entre deux civilisations comme entre deux notions de temps.
Le sophrologue a le désir de vivre dans la modernité, en étant compétitif et efficace tout en restant sensible aux charmes de la tradition. Revenir à l’essence même des choses est une voie. Il est apte à la contemplation qui le délie de lui-même tout en étant capable de se lover dans le temps rond de la méditation.
La matière n’est pas cette substance élémentaire que s’approprie le travail de figuration mais plutôt une étoffe organique et réelle qui est tant celle des hommes et de son environnement et qui tend vers une approche de l’univers.
Les couleurs rompues, saturées donnent un aspect vieilli, usé, gage du temps qui passe en ramenant le spectateur à l’état originel de la vie.
Possédant un sens très vif pour la précarité des choses, mes toiles semblent avoir vécues.
Fossiliser l’instant par la présence d’empreintes, de textures, de griffures, de rayures voire de circonvolutions est une priorité.
Mes toiles se regardent avec des yeux d’investigateurs.
Le monde naturel (minéral, végétal, animal) semble jaillir dans sa complexité sous la seule enveloppe des matières.
C’est ainsi qu’une goutte en suspension évoque la fluidité, une tache sombre représente un gouffre, les vaisseaux ligneux d’une écorce d’arbre symbolisent le puissant jaillissement de la vie tout comme les crevasses d’une roche suggèrent l’image des ténèbres dans lesquelles l’Homme peut trouver refuge.
Sentiments, émotions, passions, pulsions de vie et de mort se conjuguent dans les différents aspects de la matière, cette dernière étant le symbole d’un univers vivant à travers les âges dans une vision poétique.
Parfois, nos yeux sont surpris de voir apparaître un tableau ou plusieurs petits tableaux dans le tableau finalisé, il s’agit de scènes de vie.
Beaucoup d’évocations possibles sont suggérées par les éraflures, les fissures, les trous, les masses à l’instar des peintres informels comme Jean Fautrier, Rafaël Canogar, Antonio Tapiès…
L’utilisation de plusieurs matériaux étrangers comme le faisait l’italien Burri, inventeur d’une nouvelle technique dans le domaine de l’informel tend à affirmer que mon approche est « polymatérielle ».
Ces matériaux (papier, cartons, images, linogravures, végétaux) sont insérés dans le tableau comme éléments de peinture au même titre que la couleur.
Imposer la matière, sentir sa construction, sa profondeur dans une réalisation à la fois énergique et fantastique situe au départ mon travail aux confins de l’abstrait-expressionnisme tout en le dépassant.
Ainsi, la vie bouillonne : secousses, spasmes, frémissements se lisent dans toute l’œuvre au point de dérationaliser l’humain.
Cet art qualifié d’informel repose sur la philosophie existentielle qui remet en cause toutes les possibilités de connaissance de l’homme.
La peinture informelle devient un simple geste, à travers lequel l’artiste engage corps et esprit.
L’implication de l’artiste est telle, qu’il n’y as pas de recherche de composition, d’organisation du tableau. Seul compte, ce qui émerge, ce qui est révélé.
Toutefois, une part d’interrogation subsiste, l’Homme est-il une espèce menacée ?