L’art n’est pas une fin en soi. C’est un moteur de vie, un catalyseur d’émotions et un formidable moyen d’expression. Le message d’Alain Rouschmeyer est clair. Ces toiles sont des tranches de vie, des approches gourmandes du quotidien qu’il parvient à « croquer » avec délectation.
L’artiste construit le récit de sa vie par le prisme de ses rencontres, voyages et émotions. Il couche sur la toile ses états d’âmes comme un journal intime visuel. La peinture piège un instant réel ou fantasmé, c’est un formidable trompe la mort, trompe l’oubli. Alain Rouschmeyer se laisse porter par son regard aiguisé et navigue dans le flux de ses souvenirs. La mécanique de la mémoire s’attache aux lieux pour inscrire durablement un moment vécu. L’artiste compose de façon similaire. L’espace est traité avec la même force que l’humain. Plus qu’un simple décor c’est un paysage émotionnel. Nous expérimentons le lieu en même temps que les personnages représentés. L’expérience n’est pas que visuelle, nous ressentons l’atmosphère, percevons les parfums et les murmures qui semblent s’échapper de l’œuvre. L’écoulement du temps s’arrête et nous sommes les spectateurs d’un passage, d’un instant qui nous échappe et que l’artiste parvient à retenir dans sa toile.
Scènes de genre, scènes de vie, paysages, nus, l’artiste ne se ferme aucunes portes. La maîtrise technique, le rendu des matières, la précision du geste et la recherche d’une esthétique des corps, des formes et des couleurs est au cœur de sa démarche artistique. La rigueur et la perception aiguisée sont des capacités développées notamment par sa formation initiale d’architecte. Sa sensibilité pour le dessin est un aspect fondamental de son art. La qualité du trait est remarquable, elle fait partie de la signature du peintre/architecte. Le croquis devient une écriture presque automatique. C’est un point de départ, un port d’attache qui permet de dérouler son récit sur la toile. L’artiste convoque ses souvenirs, son expérience des lieux, des paysages, des corps... L’architecture prend naturellement une place de choix dans ses œuvres. Il faut l’interpréter comme un espace de vie, un terrain de je(ux), une présence humaine en pointillée.
Le talent de l’artiste s’exprime également par sa capacité à nous raconter une histoire et à nous embarquer avec lui dans son intimité. Le choix du figuratif n’est pas anodin, il nous offre des repères rassurants, des voies d’identification si peu empruntées par la création contemporaine actuelle et son culte de l’abstraction. L’artiste pose des bases, il construit un décor, une ambiance et nous laisse imaginer la suite. Les objets prennent une dimension nouvelle sous ses traits. Ils deviennent des totems contemporains. Une chaise vide, une paire de chaussures suffisent à matérialiser la présence fantomatique d’un homme et d’une femme que l’on pourrait presque entendre derrière la toile. Une musique du quotidien s’infiltre dans les compositions comme une mélopée parfois nostalgique, sensuelle, entraînante. Un modèle féminin revient régulièrement dans ses toiles. S’agit-il d’une muse ? d’une vestale gardienne du feu intérieur de l’artiste ? Alain Rouschmeyer peint avec les mains du créateur, le regard du poète et le cœur rythmé par la beauté qui nous environne. Il explore et réinterprète les sujets classiques de l’art comme la représentation de la baigneuse si chère aux impressionnistes ou bien la chaise, objet-phare des avant-gardes. Rien n’est laissé au hasard dans ses toiles. L’apparente spontanéité de la composition est le fruit d’un travail minutieux d’observation et de recherche esthétique. L’artiste nous touche par sa sensibilité et son approche poétique du monde qui l’entoure. Sa peinture est généreuse, profondément nourrie. Son art est une invitation à cueillir le jour.
Andréas Alberti - Auteur, critique d'art, journaliste spécialisé - juin 2022